lundi 3 juin 2013

LEVÉE DES CONFLITS: Baruch et le conflit

par Marine Mane

Ils arrivent un par un, exécutant une longue série de vingt-cinq mouvements. Ils sont vingt-quatre, c’est un canon, personne au même moment donc. Vous voyez ? Un canon de mouvements, Charmatz dit « un frère Jacques ».



Ça provoque le tournis cette répétition, ça ennuie, ça oblige à s’attacher au parcours d’un seul, parce qu’on ne peut pas prendre en soi les vingt-cinq mouvements en décalé, trop complexe. L’œil en cherche un, attiré par un goût personnel sans doute, la couleur jaune du t-shirt de celle-ci, le fessier charnu de celui-là, la grâce particulière d’une autre… bref. 

Une drôle de petite histoire commence à se mettre en place. Une histoire qui commence à se jouer à plusieurs. Des êtres les uns à côté des autres, occupés à exécuter en solitaire une chorégraphie similaire (mais décalée, vous vous souvenez…frère Jacques), ça ne rappelle pas quelque chose ça ? Le schéma de la journée type — adaptable selon les moyens de transport — métro boulot dodo. L’impossibilité à se comprendre, le fait de n’être pas là, avec l’Autre, avec soi au moment juste, d’être juste avec soi finalement. On le sait bien, quand même, que ce n’est pas notre nombril qui va nous satisfaire. D’ailleurs, qu’est-ce qui va nous satisfaire ?

Alors pour répondre à la question muette, les danseurs, à la fin du vingt-cinquième mouvement, se mettent à refaire, à l’unisson, la chorégraphie tout entière. Et la chose arrive, on y croit un peu à la communauté, à l’énergie qui passe d’eux à nous, et nous, ensemble aussi, à les regarder. On y croit, à ce langage du mouvement, on voit bien qu’il y a de la communion, de l’échange. On se sent compris soudain. Le conflit s’est levé. 

Et puis... et puis, j'ai repensé à la Syrie, aux révolutions arabes. Et à d'autres. 
Mais il y a des rassemblements comme ça, quel qu’en soit la cause ou le fondement, il y a des rassemblements qui parfois vous donnent envie de « persévérer dans l’être »*. 

*Baruch Spinoza, le conatus: http://www.philolog.fr/le-desir-comme-puissance-detre-spinoza/

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