jeudi 30 mai 2013

LE SACRE DU PRINTEMPS: L'homme en rouge

par Mathias Varenne

L'homme en rouge rentre sur scène. Il se place dos à nous, seul au milieu d'une grande scène noire, richement éclairée. Un premier geste subtil, à peine perceptible, lance la danse de l'homme en rouge en même temps que la Musique du Sacre. 

Stravinsky est là, et même bien là, grâce notamment à une puissante installation sonore qui remplit allègrement son rôle de conducteur de plaisir et de privilège (Avoir l'opportunité d'écouter de la musique forte et avec une qualité excellente reste un privilège de « riche ») . 

L'homme en rouge s'anime, et commence tel un chef d'orchestre à diriger la musique. Il est seul face à nous et à l'orchestre invisible. Les gestes sont précis, professionnels même. La virtuosité du chef d'orchestre est là. les mouvements s'engagent avec la musique, le corps de l'homme en rouge s'éveille et nous éveille à une écoute, tente de nous laisser voir l'oeuvre de Stravinsky. L'idée séduisante d'être face à un chef d'orchestre a bien lieu et je suis  l'homme en rouge avec engouement.



Pourtant très vite, j'arrive aux limites de la proposition de Xavier Leroy. En effet, dés la fin du premier mouvement musical — et ceci se répétera tout au long de la représentation — , il coupe la musique d'un geste de main et au lieu de garder la tension amenée par la musique, de profiter du silence « musical », de l'utiliser, l'homme en rouge « prend une pause », c'est à dire qu'il prend le temps de respirer, d'essuyer la sueur sur son front, comme s'il fallait absolument reprendre ses esprits, nettoyer les traces de ce qui vient de passer... et c'est malheureusement à ce moment là que je comprends que nous n'irons pas au-delà de ce concept plaisant. Pas au delà de l'idée séductrice. Il n'y aura pas de traversée — de traversée de l'humain — d'humain traversé. 

C'est un vrai problème, car le concept séduisant ne suffit pas face à l'oeuvre tribale qui fait face à l'homme en rouge. Qui fait face justement sans jamais vraiment le traverser, ou en tout cas sans jamais pouvoir aller au delà de lui. Lui, chef d'orchestre. 

Finalement, l'homme en rouge ne soulève jamais vraiment l'ossature rythmique de Stravinsky pour tenter d'y mettre l'émotion (c'est-à-dire ce qui fait sens). Il ne se risque pas à sauter. Sauter pour s’envoyer en l’air. S'envoyer en l'air en « public » et ainsi porter le « privé » de l'humain traversé, l’intime, sur la place publique. 

Heureusement, il me reste un choix ( Et je ne peux ici que remercier cette proposition  qui rend  ce choix possible). Je ferme les yeux, j'abandonne l'idée, le concept, l'homme en rouge et profite de l'oeuvre de Stravinsky, pour aller plus loin, ailleurs, au-delà, Hors-les murs peut-être... Il me reste la possibilité de ME laisser traverser, de faire ce voyage auquel je n'assisterais pas et de voir l'apposition de la chair contre une autre, l'aspect brut de la chose, une respiration, un halètement, une anatomie fantôme, une arène, un bestiau indissocié, des mouvements dans la recherche Scène, un corps-pute qui relève de la rue, un fantasme, une représentation.

 Nous aurions pu voir tellement de choses ensemble, M. Rouge, si vous aviez seulement bien voulu plonger et vous risquer à...

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