vendredi 31 mai 2013

SILVIA CALDERONI: Cette femme là, c'est un fauve

par Marine Mane

Il y a des moments comme ça dans la vie.
Où on est rattrapé, happé par une énergie, un corps, ou plutôt « un style » à la manière de Deleuze. Où l'on se sent chez soi.

Jusqu'ici la journée se déroulait normalement, cédant la place à sa jumelle la nuit. Depuis une heure, je traînais avec les autres dans cet endroit nommé le QG, le rendez-vous nocturne des festivaliers, de l'intérieur comme de l'extérieur, le genre de bar improvisé avec des visages souriants et des vodkas canneberge à trois dollars. Je ne m'attendais à rien, sûrement encore mangée par le décalage horaire ramené de France et qui commençait à amputer une bonne partie de mes fonctions d'attention. Il y eut un spectacle avant aussi, juste un spectacle.

Elle est arrivée en jean trop serré pour être honnête, bottes blanches en plastique et t-shirt à l'avenant. Et c'est comme une pluie soudaine en plein été, cette pluie qui tombe dru d'un seul coup et qui vous colle les vêtements à la peau en trente secondes, vous laissant un brin hébété au beau milieu d'un trottoir. Personne n'a demandé son reste, et en à peine trois chansons balancées à coup de hanches et de cheveux blonds peroxydés, les corps ont commencé à s'agiter, dopés à l'endorphine.



Et dans un déluge sonore, et frappant d'immenses panneaux en carton à l'effigie du festival à coups de tête désœuvrées, et chevauchant sa propre image vidéo dans un coït unilatéral, et sautant, bras et jambes désarticulés, de la scène où elle mixait à la piste où elle fut accueillie comme un Bacchus et hurlant, dansant, se regardant danser, avec la ferveur impie d'une nonne devant son dieu, et nommant une élue, une Paola, lui dédicaçant cette chanson (assez piteuse d'ailleurs People Have the Power), pour enchaîner des tubes technoïdes et revival new wave, Iggy Pop et The Doors, se jetant sur un gars pour qu'il éteigne les lumières et nous laisse avec Jim Morrison seul à seul sur une piste devenue boudoir langoureux, et nous balançant un boogie au beau milieu d'un Daft Punk pour aller fumer sa clope, et en revenant, et de toutes ses dents, nous a écrasé d'un sourire carnassier, pour nous offrir son âme.

Cette femme-là, ce désordre-là, c'est Silvia Calderoni de la compagnie Motus. C'est voir tout d'un être dans la manière qu'il a de se donner entièrement, dans ce qui n'est — au final — qu'un DJ set d'une énième soirée de festival.

C'est comprendre instinctivement son implication politique vitale. Sa nécessité de vivre. C'est penser soudain qu'il n'y a pas de différence entre une énergie, une pensée artistique et ce qu'on appellerait «la vie». Vous voyez, quand les gens vous disent: «Et dans la vie, il est comment?» comme si tout était séparé. C'est au moins quelqu'un qui arrive à vous le faire croire. Et puis... et puis, j'ai repensé à Céline. Et à d'autres.

Mais il y a des gens comme ça, qui vous kidnappent pour vous emmener au paradis, et qui vous relâchent plus légers qu'avant.





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