mercredi 29 mai 2013

YELLOW TOWEL: Quelque chose suit son cours

par Léa Roglianio

J’ai pensé à Beckett lors de la représentation de Yellow Towel de Dana Michel. Je repensais à L’Image. Je repensais à Premier Amour. Lorsque j’ai lu L’Image, les mots s’entassaient sans que je n’arrive à les regrouper, je lisais les lignes comme des blocs de signes jusqu’à ce qu’à la dernière page, apparaisse : « l’image ». J’avais de la boue enfoncée dans la bouche, j’en avais le goût, c’était cela l’image. Ce qui me reste aujourd’hui de la performance de Dana Michel, performance car cela en est une de parvenir à tenir la scène comme une funambule flirtant avec le vide, sa performance s’apparente à ces blocs de mots opaques et hypnotiques. Évidemment, ils ne peuvent avoir aucun sens seuls, ni même dans une phrase, ni même dans une page mais dans l’amas, dans un ensemble disparate et chaotique. Il faut abandonner sa tête pour lire Beckett comme il faut l’abandonner pour entrer dans Yellow Towel. Ce qui apparaît ici est une traversée : celle d’une femme qui décide de rouler les costumes sociaux en boule, de les fourrer sous son pull, et de jouer à oublier ce dont il était question. Au fait: de quoi était-il question? J’ai lu qu’il s’agissait d’interroger la négritude. Certainement. Cependant, si j’ai observé une femme noire, j’ai avant tout vu une femme, et si j’ai vu une femme, c’était avant tout un corps, d'ailleurs ce corps n’avait peut être pas de sexe, car si j’ai vu un corps, j’ai surtout vu une présence, mais au-delà de cette présence j’ai eu l’impression de goûter à une solitude. « Mais qu'est-ce qui se passe? Mais qu'est-ce qui se passe? » demande Hamm à Clov dans Fin de partie de Beckett. « Quelque chose suit son cours », répond-il. « Quelque chose suit son cours » dans Yellow Towel et cela se suffit à lui-même.

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