mercredi 29 mai 2013

YELLOW TOWEL: Regard d’un blanc européen sur le geste d’une noire nord-américaine

par Jean-Baptiste Veyret-Logerias

Non pas qu'il soit intéressant en soi de nommer des différences d'origine géographique et de pigmentation de la peau entre le spectateur et le performer d'un spectacle, mais c'est comme un besoin pour poser un préalable à ma perception de Yellow Towel.

Dans un espace entièrement blanc, Dana Michel se présente habillée en noir, recouverte de la tête aux pieds d'une sorte d'armure casual, sweat shirt et pantalon de training, avec une paire de chaussures noires et blanches, comme un point de ralliement avec l'espace, par le sol.

Elle entre le corps et la voix bégayant et bredouillant, comme en recherche d'adaptation, de relation à l'espace lui-même et à la masse d'objets qui n'attendent que d'être utilisés. J'ai beau essayer d'envisager autrement la proposition, ma perception me fait regarder ces objets comme les instruments de convocation d'une série d'images, de clichés sur la négritude. Et là peut-être l'origine géographique et la pigmentation de la peau jouent leur rôle, peut-être, pour l'histoire collective qui est attachée à chacune d'elles. Je la vois ainsi poser les actes d'une femme noire — mais le genre importe peu en l'occurrence — jouant à nous confronter aux images clichées liées à la négritude, de l' "exotisme" des républiques bananières à la culture jazz, sans oublier les coiffures afro. La figure habillée en noir traverse chaque image, prend chaque objet et insiste à ânonner, à bégayer, à répéter la même action jusqu'à l'épuisement. Un épuisement qui gagne l'action elle-même, son sens, ses évocations et tout ce qu'elle convoque et comporte de discours sur la négritude. Elle se répète, elle se répète, elle se répète, laissant le temps au spectateur de faire émerger de sa mémoire individuelle et collective, de ses représentations partagées ou non, tout ce que cela convoque pour lui. Dana continue d'énoncer la même chose, toujours, tant que l'objet n'a pas fini de dire tout ce qu'il contient, tant que tous ses potentiels ne sont pas annulés. L'épuisement est même physique : Dana répète ce qu'elle fait inlassablement, et laisse son corps se faire chaque fois attirer un peu plus vers le sol, comme si la gravité devenait la seule relation possible à l'espace, comme si un mouvement descendant était seul capable d'accompagner l'effondrement du système de valeurs convoquées.


Le temps pris semble parfois infini et je sens par moments la salle comme moi s'impatienter ou s'ennuyer. Mais c'est finalement certainement là que le tour est joué : au bout du compte, ces images n'intéresseront plus personne. La performeuse, par le système presque implacable et inextricable qu'elle met en place, met ces convocations mémorielles, ces constructions sociales à terre, les ramène à un ici et maintenant, à du vide sémantique, à un temps tellement présent que mon espace de projection de spectateur se ferme : l'action est-ce qu'elle est, la banane n'est qu'une banane. Mais l'ennui, qui prend toute sa valeur dramaturgique dans le processus d’abattage de ces images, ne m'empêche pas de reconnaître la puissance de jeu de Dana Michel, presque il m'en donne encore plus l'occasion. Je reste là à regarder la performeuse dans son insistance à développer et acter son idée, à rester en prise avec l'activité qu'elle s'est assignée : vider, vider, vider.

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