samedi 1 juin 2013

CONTE D'AMOUR: LA VÉRITÉ EST AILLEURS le "white picket nightmare" de CONTE D'AMOUR

par Patrice Charbonneau-Brunelle

Nous avons appris dans les dernières années que les squelettes ne se cachent pas dans les placards, mais bien dans les sous-sols de banlieue. Inspiré par l’affaire Josef Fritzl et rappelant les enlèvements plus récents en Ohio, Conte d’amour explore les rapports entre les membres d’une famille séquestrée par le père. C’est un délire fantasmagorique et brutal de trois heures sur l’autoritarisme paternel, la violence sauvage engendrée par l’amour et les tabous de l’inceste, une pièce aux propos lourds dans une forme qui mélange l’aseptique et le grotesque. La lecture de la pièce se faisant presque entièrement par le médium de la vidéo, elle nous amène une réflexion sur notre rapport à la captation de la réalité par ce médium. 

Le dispositif scénique de Conte d’amour n’est pas sans nous rappeler celui de Gob Squad’s Kitchen, présenté plus tôt cette année à l’Usine C. On y projetait alors sur un mur les captations de trois caméras, filmées dans un décor hors de la vue des spectateurs. La présente scénographie est une construction sur deux étages suggérant une maison. L’improbable le white picket fence et le tapis gazon qui l’entourent symbolisent bien la protection que donne le semblant de l’apparat et nous rappelle à quel point cette façade peut-être facilement, mais pourtant si rarement franchise. L’action se lit majoritairement sur le deuxième niveau ou sont projetées les images captées par deux caméras dans le niveau inférieur, l’une fixe et l’autre mobile. Cet espace, représentant assez réalistement un sous-sol, est caché du public par une bâche de plastique peu translucide. Cette surface permet tout juste de distinguer certaines formes et lumières, nous confirmant que ce que nous voyons est bien live. Les acteurs se retrouvent ainsi confinés dans une pièce entièrement fermée, créant une forte impression de claustrophobie et d’isolement, ce qui doit énormément nourrir le jeu des acteurs. Observer ce drame par le filtre de la vidéo permet non seulement de bâtir et cadrer un parcours narratif clair, mais nous donne aussi un recul suffisant pour encaisser l’intensité du propos. La distanciation entre les acteurs et les spectateurs place ces derniers dans un rôle d’observateurs, même de voyeurs et selon moi, les affranchit d’un devoir d’interaction ou d’échange avec les personnages. Ce détachement face à l’histoire sécurise sans doute beaucoup l’émotivité des spectateurs et simplifie un éventuel retrait au besoin. Le public est d’ailleurs invité dès le début à sortir calmement si nécessaire.



Nous associons de plus en plus notre regard sur le monde à celui filmé par les caméras qui nous sont de plus en plus accessibles. La terreur au quotidien nous est principalement véhiculée à travers les médias par la vidéo, car il est rare que nous ayons un contact direct et in situ avec la guerre, la violence et la démence. C’est donc par la vidéo amateur qu’internet nous permet d’observer loin de tout danger, des atrocités dont nous ne serons sans doute jamais témoins. Dans les dernières années nous avons associé le cadrage houleux des téléphones, webcams et cinémascopes maison ainsi que le stoïcisme impartial des caméras de surveillance, à la réalité brute du monde. C’est une esthétique souvent empruntée par le cinéma d’horreur et qui est d’un ton très juste pour traiter de la terreur. Il nous est facile dans cette forme d’oublier la subjectivité du cadrage cinématographique dans l’illusion qu’il est alors aléatoire. 

Nous habituons-nous à la vidéo au point d’accorder maintenant plus de crédibilité à une image retransmise plutôt qu’à celle créée directement devant nous ? Notre exposition constante sur les réseaux sociaux nous amène-t-elle à douter la rencontre des gens en temps réel ? Et un art vivant, comme le théâtre, qui joue ouvertement sur le vrai et le faux, la réalité et la fiction aura-t-il de plus en plus besoin de passé par l’œil de la caméra pour devenir crédible ? La proposition de Conte d’amour est trop juste et cohérente pour qu’elle réponde à des questions d’ordre général sur la forme. La production n’aurait peut-être pas pu porter son propos de manière si juste et permissive si l’espace avait été autrement approché. Son efficacité et la parenté à certains de ses contemporains reflète tout de même une évolution du lien public-scène qu’il sera intéressant d’observer dans le futur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire